184- Bosnia 2015 - épisode 6

Et si c’était ça, le monde de demain, une tour de Babel serpentant dans les merveilles de la nature, une symphonie de pas pour rester en contact avec ceux qui ne sont plus, une ribambelle de sourires avec ceux qui sont encore là pour voir la vie autrement, une infinité de gestes simples, sans calcul, aussi réconfortants qu’une caresse maternelle, 100 kilomètres à respirer complètement Mars Mira pour souffler sur les braises de la culture de la paix, à creuser les sillons d’une terre encore bien fertile. Il y a certes des moments où la perverse société de consommation revient effacer les bonnes intentions, mais celles-ci ont été tellement nombreuses que « le chacun pour soi » a été à chaque fois chassé de cette nouvelle société en marche. N’est-ce pas là une porte à ouvrir pour tomber nez à nez avec l’espoir?

Et si c’était là, Mars Mira, la nouvelle source du vivre ensemble, l’un des supports « accords majeurs » en capacité d’effacer toutes les barrières sociales et culturelles, tous ces murs qui font mijoter la bêtise et le repli sur soi, bouillir cette haine qui ramène toujours aux armes et aux nettoyages des gens différents. Ici pas de « paroles, paroles », ni « d’embrouilleurs », juste des marcheurs qui vont au bout honnêtement, partageant des valeurs humaines dans le dépassement, faisant don de soi pour des gens qu’ils ne connaissent pas, inventant de nouvelles langues, imaginant de nouveaux projets et surtout maniant avec délice l’auto-dérision, serait-ce là le fameux humour yougoslave, un mélange d’ironie et de candeur enfantine, une bonhommie sorti tout droit d'un remake de"Rabbi Jacob"?

C’est bien là que j’ai pu grandir davantage en croisant des lignes de vie aux eaux fortes, celles qui vous portent, que dis-je, celles qui vous transportent :

- Dzile, le Gandhi de Bosnie, le porteur de cette étincelle de vie, « Mars mira », l’un des survivants de la marche de la mort, qui a transcendé cette expérience indicible avec une force incroyable en ramenant l’espoir dans cet endroit meurtri : « J’ai connu Srebrenica, tout le reste c’est zéro, il faut vivre, il faut rire! »

-Jasmina, une femme irradiante aux yeux perçants et à la voix rauque, et ses 2 enfants, Mia, une jeune femme de 23 ans, une aventurière, et Anel, un jeune homme de 20 ans, un poète cinéaste, un trio magique, qui, depuis 2 ans est revenu en Bosnie, retraçant leurs liens avec leur terre. Remettre les pieds sur un chemin sur lequel ils ont vécu avec la mort tant de jours si jeunes. Repartir sur de nouveaux chemins après avoir mis un terme à un deuil en forme de double condamnation perpétuelle, le corps d’un mari et d’un père retrouvé en plusieurs morceaux dans ces lieux qu’on nomme charniers. 2013, ramener ce corps en paix pour qu’une famille réfugiée en Suisse puisse envisager le retour ici. Ne pas oublier, les grenades qui pleuvent et démembrent, le départ un matin d’avril sous la neige, vivre dans une maison abandonnée sans rien et voir la sienne être un lieu de tueries et de destruction, s’enfuir sans son mari, sentir l’impensable, vivre dans la peur et l’espoir, s’échapper dans un autre pays mais aujourd’hui respirer ces trois sourires avec délice et ne pas cesser de résonner sur ces ondes d’espérances : « j’ai envie de revenir reconstruire ma maison avec mes enfants ».

-les familles qui vivent le long du chemin et illuminent la marche pour la paix. Leurs applaudissements et accueils nous ont fait rougir;

-Ivar Petterson, de Solidarité Bosnie, qui a rêvé avec Dzilé cette Mars Mira, qui à chaque foulée refait le monde, contant avec passion l’histoire de ce pays;

-un groupe de jeunes Bosniens de Konjic qui ne veut plus regarder sans rien dire leur pays s’enfoncer, perdre sa jeunesse, se fermer davantage, à cause d’une organisation politique et économique ouverte à toutes les corruptions et divisions possibles; « we are proud that you, the french people you are here with us to go forward and don’t forget… »

-un syrien qui rêve de marche pour la paix dans son pays en guerre;

-un palestinien qui crie sa révolte aux côtés des Bosniens pris en étau entre la Serbie et la Croatie, pris en otage d’intérêts internationaux loin de toute préoccupation humaniste;

-un ancien de médecin sans frontière qui semble porter une faute, qui se rappelle de ces moments où pendant 7 mois il a monté une antenne de MSF dans une zone où plus aucune règle de vie n’était respectée, où la guerre happait la moindre parcelle de vivant. « Le corridor humanitaire quelle belle foutaise, juste un moyen d’exposer une population au nettoyage ethnique. Nous aurions du évacué tout de suite… »

-un groupe de jeunes normands de Coutances avec qui nous avons fini notre périples partageant nos engagements sur la mémoire, nous interrogeant sur la sempiternelle question « comment éviter que cela recommence »;..

Nous n’oublierons pas toutes ces familles qui ont perdu une partie de leurs nous applaudir à notre arrivée au mémorial de Potocari, les regards plein de vie, et nous, tremblant de fatigue et d’émotions.

Nous n’oublierons pas non plus avoir dormi une nuit au-dessus de la chambre du ministre de l’intérieur de la Bosnie, d’avoir fait la circulation pour la voiture du premier ministre turque et rencontrer dans l’avion l'épouse de Richard Holbrooke, le haut diplomate américain qui a animé la négociation menant aux accords de Dayton et d’avoir capté de nombreux de ces moments grâce à la magie du cinéma…

A bientôt pour de nouvelles aventures Borders….

Merci à Nadia, Sophie, Florence, Shari, Amila, Emina, Ferdinand, Wilton, Gabrielle, Axelle, Caroline, Kévin le graffeur, Caroline, Paul le photographe, Arnaud, Eliot, Paul le marcheur, Kévin le rugbyman, Irène, Fatou, Khoujdié, Mikaël, Amar, Amina, Aïda...et à tous ceux qui n'ont pas pu venir Janis, Julie et Elias.